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Quelles solutions de cloud souverain?

Cloud souverain

Article invité de Fabienne Billat, consultante en communication et stratégie numérique & Jérôme Bondu, directeur du cabinet de conseil inter-ligere.fr

Tout le monde s’accorde pour dire que les données sont à la révolution numérique ce que l'électricité a été à la révolution industrielle. A l’époque, la France avait réussi à construire une autonomie dans la production d’énergie. Nous en avons tous les jours les bénéfices. Et ressentons aussi la fragilité du système quand il est attaqué !
Mais qu’en est-il aujourd’hui de la construction de notre autonomie en matière de données ? Quelles sont les solutions de cloud souverain ?

Nous vous proposons dans cet article un rappel des enjeux, des problématiques et des solutions. Nous essaierons d’avoir une vision stratégique plus que technique sur ce sujet passionnant, et parfois complexe.

Les enjeux du cloud souverain

Le parallèle posé en accroche est riche de sens, car il nous permet de prendre la bonne mesure des enjeux. L’électricité est aujourd’hui partout présente. Elle est essentielle pour faire fonctionner l’économie. Et sa maîtrise s’est faite sur le long terme. Parallèlement, les données sont déjà partout. Ce sont des éléments essentiels pour faire tourner l’économique, et pas seulement l’économie numérique ! Le fonctionnement de la finance, c’est de la donnée ! Le fonctionnement d’une usine, pareillement. La maîtrise de la donnée passe par la maîtrise d’une chaîne : production, stockage, analyse, exploitation… .

Il n’est pas étonnant qu’en 2023, il soit prévu que le marché mondial des services de cloud public augmente d'environ 21,7 %, ce qui équivaudrait à près de 600 milliards de dollars américains (source Statista). Mais le développement du marché du Cloud n'est en réalité qu'un petit aspect du sujet. Le plus important est qu’il y a une cloudification complète de toute l'économie. Beaucoup de champs de l'innovation, à commencer par l'intelligence artificielle, se font dans des environnements cloud. Les enjeux sont donc énormes.

Le problème

Le problème est que 80% de l'offre est actuellement sino-américaine : AWS, Microsoft, Google, Alibaba, Tencent, Baidu … Ce sont les hyperscalers qui hébergent, analysent, « font travailler » nos données.
Ceci a deux corolaires négatifs : premièrement nous risquons de ramasser les miettes de la création de valeur dans cette économique numérisée. Deuxièmement, ce qui est tout aussi dramatique, nos données risquent de tomber sous le coup de réglementations étrangères, des États-Unis et de la Chine. Les affaires largement médiatisées d’Alstom Power ou de Technip (pour n’en citer que deux) ont fait prendre conscience au grand public de ce que pouvait signifier l’application d’un droit étranger. Comment résoudre ce problème et quelles sont les solutions possibles.

Les solutions

La solution idéale serait évidemment d’utiliser un cloud « français », et d’avoir une souveraineté technologique totale. Mais cela impliquerait que tous les éléments de la chaîne du cloud (construction des microprocesseurs, assemblage des serveurs, logiciel d’infrastructure, assemblage et gestion des routeurs…) soient « français », soient « fait » en France dans des structures de droit français ! En gros, il faudrait que nous soyons un peu comme … les États-Unis. Même si des initiatives louables empruntent cette voie (OVH par exemple fait assembler ses serveurs dans son usine de Roubaix, il y aussi l’usine Eviden à Anger) on ne peut pas se reposer immédiatement sur ce qui est plus un objectif long terme qu’une réalité immédiate. Voyons donc les alternatives.

GaiaX est catalogue de solutions complémentaires portées par des partenaires. Cette initiative, bien perçue à son origine par les acteurs du Cloud, a été critiquée pour avoir laissé rentrer les géants américains. À tel point que le projet a été renommé par les plus critiques GafamX !

Certains membres de la première heure de GaiaX ont quitté le navire, pour créer Euclidia. C’est une alliance d'entreprises, dont fait par exemple partie Scaleway, dont l’objectif est de valoriser des solutions cloud uniquement européennes.

Le gouvernement a mis en place la notion de cloud souverain, puis le cloud de confiance. Ce label s’appuie sur la certification SecNumCloud de l’ANSSI. L’objectif est ne pas tomber dans les juridictions extra-européennes (Cloud Act américain, mais aussi FISA ou l’Executive Order 12333) : Cloud Temple, Oodrive, Outscale (filiale de Dassault Systèmes) OVH Cloud et Worldline Cloud ont gagné le sésame.

Des regroupements d’acteurs Français et Américains visent l’obtention de ce label : comme Bleu (qui mixe Orange, Capgemini et Microsoft). S3NS (qui allie Thales et Google). Ou Numspot (portée par Docaposte, Dassault Systèmes et Bouygues Telecom) qui est porteur d’une volonté de plus grande autonomie vis-à-vis des acteurs américains.

Pour finir, VMware pousse la notion de cloud autonome stratégique. La filiale de l’Américain insiste sur le fait qu’elle apporte un support uniquement technologique. Pour être clair, dans son partenariat avec OVH, VMware n’héberge aucune donnée. Elle permet l’utilisation de son logiciel de virtualisation, et OVH l'opère lui-même dans ses propres datacenters.

Déploiement cloud souverain, source: VMware

Avant, le cloud était un sujet technologique qui se posait aux DSI. Il est devenu un sujet politique, voire géopolitique. En effet, la Chine pèse de tout son poids dans le monde numérique, notamment vers les pays émergeants. Et l’on pourrait retrouver dans le monde digital une nouvelle guerre froide Est-Ouest Américano-Chinoise. L’Europe n’ayant pas encore trouvé les voies de la puissance, elle ne peut que se perdre dans les impasses de l’impuissance. Et devenir un tiers-numérique, une espèce d’herbivore appétissant, proie facile des carnivores aux griffes digitales acérées. Donc il faut avoir une vision géopolitique et stratégique.

Recul stratégique

Pour prendre un véritable recul géostratégique, il est bon de se replonger dans le passé, et de se débarrasser des contraintes technologiques qui brident la réflexion.
Il y a environ 450 ans, quand Louis XIV a voulu avoir une marine de guerre, il a promulgué en 1669 une ordonnance sur … les forêts !! Colbert avait calculé que la France allait avoir besoin de 300 000 chênes de 100 ans d'âge pour construire une centaine de navires. L’important pour ces grands Hommes d’État était donc de permettre l’éclosion sur le long terme d’une autonomie maritime. Les arbres ont été plantés. Et effectivement au milieu du 18e siècle la France avait sa marine ! La France avait alors une vision long terme ! Nous devons en prendre de la graine ! Et si l’on peut filer la métaphore, il nous faut planter nos « graines numériques », et concevoir dès aujourd'hui nos « arbres technologiques ».

En conclusion, il est important de rappeler que la bataille du Cloud ne fait que commencer. Croire que tout est perdu n'a aucun sens. Une lecture d’intelligence économique nous pousserait à dire que cette pression du temps, ce chantage de l’immédiateté, est même un piège cognitif. Sachons en sortir. Saisissons-nous collectivement de ce sujet passionnant et porteur d’avenir.

Fabienne Billat, consultante en communication et stratégie numérique, suivre sur Twitter / LinkedIn

Jérôme Bondu, directeur du cabinet de conseil inter-ligere.fr, suivre sur Twitter / LinkedIn